Air de Large Fer, par Claude Gippon

Comment va l’esprit aujourd’hui ? L’esprit -l’instrument- a vingt façons d’aller : indécis, par travers, ou anguleux. Vingt façons, c’est sa nature. Mais sa principale, en ces temps difficiles, est d’aller aux limites. Car l’esprit veut aller jusqu’où il se perd, voulant néanmoins rester entier. L’esprit est sa masse, le mouvement de sa masse, ici sculpture, sculptures d’Andres Blume.

      Mais où va l’esprit poussé aux limites, l’esprit des formes ? Il se déséquilibre et s’étaye à la fois. Puisque l’esprit va à sa guise, mais dans sa permanence. Qu’il manifeste le mieux dans ses formes les plus volontaires comme les plus dissymétriques. Ici sculpture forte : rompue harmonieusement. D’angles saillants pour tromper ses limites. D’angles rentrants pour revenir à soi. De barres courtes pour simplifier ses difficultés d’être. Et comme les formes difficiles devenues simples, tel le chêne Jupiter, telle une falaise d’Etretat, l’esprit Blume est polygone de force.

    Alors va, esprit des formes,  puisque le fer est fidèle et sa rouille, fine mémoire active. Force aux limites, il se couvre de rouille, de cette mémoire qui l’a construit. Car le fer fait aussi sa place debout (cette ferrité décrite par le poète François Laur), debout en plusieurs morceaux de l’esprit qu’Andres Blume dispose en l’état, entiers rompus, liés par masse. Ici sculpture fortifiante, ni agréable ni désagréable. C’est d’un autre domaine, cette profondeur du déséquilibre.

   Car il va loin celui dont la masse ouvre un autre air, qui rend le nôtre, à approcher cette sculpture, air de large fer, air entier, air fermé d’air, air enfermé de fer : un grand ressenti. Et ce ressenti écarte les bricolages de peu qui font une récréation de nos temps difficiles. Au contraire de cette sculpture, raison libre par lourds morceaux désaccordés.

    Profondeur nécessaire, ici sculpture charpentes de l’esprit, ici Andres Blume est principe.

                                                                  Claude Gippon,  février 2009


Les Axes de Notre Discordance, par Claude Gippon

      Comment sceller de fer nos doutes et plusieurs forces ? La sculpture d’Andres Blume est de l’âme. En attaches désaccordées, d’angles et de longueurs hardies, aux limites de ce qu’une matière peut soutenir sans se rompre. Il y a un foyer à la profondeur, se dit Blume, pour les humains rompus que nous sommes. Ce foyer accepte les forces inégales. Rapprochons-les à l’aide de l’air et du fer, scellons-les aux limites.

     D’air et de défaillances, la sculpture s’empare. Et l’air et les défaillances, depuis quelques points de force, s’avancent vers un foyer inconnu : l’acier de Blume forme enceinte irrégulière de soi, anatomie anguleuse; il scelle ce qui n’a plus de certitude. Car en nos temps cruels, la certitude est enfouie.

     Jamais de socle chez lui. Ses sculptures s’élèvent d’une poussée, de la terre où elles se sont rouillées, entières et  équilibrées, pour se déséquilibrer à l’air : à notre humanité, il manque de beaux morceaux. A nos apparences d’âme de compléter cette sculpture austère.

     Ah, les apparences ! Des métallurgistes pressés accélèrent le temps à l’acide, la rouille couvrant alors plus vite le fer. Andres Blume attend : une saison,  deux, le temps nécessaire que la rouille vienne, mémoire délicate, croîssante, empourprant peu à peu les axes de notre discordance, les fortifiant. Ainsi humains rompus, devenons-nous notre histoire, même désaccordée.

     Pour la mémoire de l’autre Histoire, celle de l’art, Blume a de petites rondeurs : ici et là  une ébauche de console, une voûte surplombant une table d’orientation, de biais. Ces morceaux d’ancien préparaient notre désordre et notre cruauté.      

      Selon l’historien Jean-Pierre Vernant, nous appartenons à la dernière race du cycle, celle du fer et du désordre. Des sculpteurs Gonzales à Tony Cragg,  Judd à Jaume Plensa, le fer est devenu  intimité humaine dont Blume explore l’irrégulière solidité, aux limites de nos doutes et de plusieurs forces.                                                                                                                                                                                                                           

                                                                       Claude Gippon, juin 2009